// 19 – 25 mars 2018 //
Comment gérer l’après Uyuni ? Nous avons vécu un moment inoubliable et il est difficile de se remettre en mode découverte. D’autant que l’arrivée à Potosi s’avère compliquée après quatre heures de bus sur une route très jolie mais bien vallonnée comme il faut. Chaque mouvement nous essouffle, Charlotte est en tachycardie et Rémi ne fait pas le fier non plus. Nous qui pensions être acclimatés à l’altitude depuis notre arrivée en Bolivie, on ne comprend pas bien… ce n’est que plus tard que nous nous rendons compte qu’en fait, Potosi se situe à 4090 mètres d’altitude, soit bien plus qu’Uyuni !
La ville est intrinsèquement liée au Cerro Rico (la colline riche, en espagnol), montagne de Potosi de laquelle sont extraits des minerais depuis plus de cinq siècles. Eh oui, souvenez-vous de vos cours d’histoire sur l’Amérique du Sud ! La découverte de Potosi en 1545, plus grande mine du continent, va permettre à la couronne espagnole colonisatrice de prospérer grâce aux efforts fournis par les esclaves noirs et surtout indigènes (les Africains déportés périssant à cause de l’altitude à laquelle leurs corps ne sont pas habitués, ils sont rapidement remplacés par des natifs de la zone mis en esclavage, qui a dit que la colonisation avait des aspects positifs ?). Potosi a donc connu une grande prospérité pendant plusieurs siècles, mais aujourd’hui c’est une ville plutôt pauvre, dont le centre historique est classé à l’Unesco. C’est d’ailleurs la première « vraie » ville bolivienne que nous pouvons découvrir, après Oruro by night et Uyuni village. Une ville qui met notre souffle à rude épreuve, autant de par l’altitude que par les rejets de gaz d’échappement des micro-bus qui la sillonnent et qui sont des carcasses de bus japonais, interdits au pays du Soleil Levant depuis une vingtaine d’années car jugés trop polluants. « L’Amérique du Sud est la poubelle de l’Occident ». Ces mots sont de Julio Zembara, un ancien mineur que nous avons rencontré et qui tient une agence réputée pour son côté sérieux et éthique. Oui car aujourd’hui à Potosi il est possible de visiter des souterrains du Cerro Rico accompagnés le plus souvent d’anciens mineurs travaillant désormais pour des agences ou des hôtels. Ce que Charlotte imagine comme un tourisme de la misère, hésitant donc à y participer, Julio lui répond que c’est pour lui un tourisme social. Pendant près de deux heures nous discutons donc avec lui des mineurs, de leurs vies, de leurs familles, du gouvernement bolivien, de politique, d’engagement, d’éducation. Bref Julio est un personnage passionnant et entier qui nous convainc donc de le rejoindre dès le lendemain matin pour visiter une partie de la mine. Hélas, le lendemain, la visite va nous laisser un goût amer. Notre ancien mineur, à force de vouloir nous mettre face à la dure réalité du monde souterrain, se transforme en donneur de leçon de vie pour petits européens qui ne savent pas grand-chose. Nous en apprenons cependant énormément sur le travail au Cerro Rico. La visite commence d’ailleurs par le marché des mineurs où nous sommes fortement invités à acheter des cadeaux que nous offrirons une fois sur place. Mais quels cadeaux peuvent donc bien être utiles à un mineur ? En voici quelques-uns :
- Des feuilles de coca pour diminuer le mal de tête causé par l’altitude, pour donner l’énergie nécessaire au labeur qui peut durer jusqu’à 12h, et pour arrêter la sensation de faim car les mineurs ne mangent pas sur leur lieu de travail (eh oui, un ptit-dej, une journée de boulot, et enfin le dîner) ;
- Des sodas, des cigarettes sans filtres et de l’alcool à 96 degrés pour les moments de répit. Cet alcool est dilué avec de l’eau, mais pas toujours, pour trinquer de façon plus économique que d’autres breuvages et oublier la dureté des conditions d’extraction ;
- Des bâtons et mèches de dynamite, en vente libre (oui, un enfant de six ans peut s’en procurer easy), servant à perforer la roche pour la recherche de minerai
De ce que nous avons énuméré les cadeaux alimentaires servent aussi d’offrandes à El Tio. El Tio c’est la divinité qui protège les mineurs, celle à laquelle on demande la réussite d’un forage ou tout simplement de ne pas mourir. Pour information huit millions de personnes sont mortes depuis l’ouverture de la mine (entre autres causes l’épuisement au travail, la malnutrition, l’intoxication par les vapeurs de mercure), et de nos jours la moyenne est encore à quatre décès mensuels. Cette divinité donc c’est… le diable ! Car dans les entrailles de la Terre, obscures, où l’oxygène se raréfie rapidement et où l’on ressent la chaleur à mesure que l’on avance, la seule chose qui vient à l’esprit est que l’enfer doit y ressembler. 15 000 hommes viennent chaque jour au Cerro Rico, nous en avons rencontré une quinzaine environ, les joues gonflées de feuilles de coca, le visage fatigué mais rieur. Pui est venu le moment de se courber en deux et d’entrer à notre tour à l’intérieur de la mine. « Plus vite ! » nous crie Julio qui détale dans les boyaux, « attends-nous » répond Charlotte. Oh l’imprudente, elle n’aurait pas dû dire cela « quand vous êtes dans la mine ce n’est pas un jeu c’est la vraie vie, et il faut courir si jamais d’autres mineurs ont besoin de passer ou si un chariot arrive en face ». Nous ne savons pas depuis combien de temps nous sommes dans la mine mais rapidement nous voulons en ressortir.
De plus, nous ne sommes pas d’accord après coup sur l’utilité d’être allés à l’intérieur de la mine pour voir les conditions de vie des mineurs. Pour Rémi, il est important de voir et de ressentir pour mieux comprendre et témoigner : « Je resterai ainsi marqué par l’étroitesse des boyaux, le bruit des explosions qui résonnent, le visage humain des mineurs une fois enlevé leur masque… bien sûr j’ai conscience que c’est une démarche égoïste parce que moi, je ne reste pas dans la mine, mais je sais au moins que l’argent de la visite est en partie reversée aux coopératives de mineurs. » Pour Charlotte en revanche ce n’est pas nécessaire : « J’avais déjà des réticences avant de faire cette visite or en sortant je peux dire que pour moi cela a été vain. Vivre la vie des mineurs pendant quelques minutes n’a pas changé la vision que j’avais de la difficulté (pour ne pas dire l’atrocité) de leur travail. Je n’ai pas besoin de courir à demie pliée dans la mine pour imaginer que c’est dur. La seule chose qui me console de cette visite c’est de savoir que l’argent ira à la Fondation de Julio, pour le reste c’est pour moi du voyeurisme. Si les touristes font cela pour vivre une expérience alors c’est totalement inutile, si en revanche c’est dans une volonté de prise de conscience, à faire suivre d’un engagement au retour chez soi, alors oui je valide, or je doute que beaucoup de personnes reviennent de la mine en se disant « ok, maintenant j’agis dans mon pays ». J’ai entendu, et lu, certains touristes français dire que cette visite leur avait permis de réaliser la chance qu’on a en France. Je pense que le terme « chance » est à relativiser. Certes les conditions de vie dans les deux pays sont totalement différentes mais gardons en tête que les droits français furent acquis en faisant des sacrifices et sont aujourd’hui encore à défendre. Il ne s’agit pas de chance mais de possibilités de lutte. » Bref, on n’est pas d’accord et chacun se couche de son côté !
Le lendemain direction Sucre. Comme à chaque fois en Bolivie inutile de réserver son billet de bus à l’avance car à l‘approche du terminal des personnes crient les différentes destinations. Une fois dans le bus, Charlotte vit un moment « pipi urgent » mais doit se retenir de très longues minutes avant que le bus ne s’arrête enfin au terminal. Rémi compatit car il avait vécu la même chose à San Pedro de Atacama avec plusieurs kilomètres en mode vessie pleine ! Vous comprenez ainsi aisément que l’arrivée à Sucre est une délivrance, d’autant que la ville est accueillante, nous ne sommes plus en altitude (seulement 2700m), il fait beau et notre hôtel est trop mignon ! On comprend vite que c’est le cadre parfait pour se poser plusieurs jours. Sucre, capitale institutionnelle du pays, eh ouais c’est pas la Paz ! Enfin, un peu aussi car La Paz est le siège du gouvernement, la Bolivie a ainsi deux capitales. Nous arrivons en pleines festivités (on apprendra par la suite qu’elles sont plus ou moins obligatoires…) liées à la revendication de la mer par le pays. Et on peut dire que le gouvernement met le paquet : fanfares, défilés militaires, affiches dans tout le pays et même discussion au tribunal international de La Haye pour savoir si ce satané de voisin chilien doit accepter des négociations sur le retour de la mer à la Bolivie (pour info rapido en 1845 guerre du Pacifique entre Chili et Bolivie qui perd donc l‘accès au littoral, à noter que la Bolivie a été grignotée de toutes parts et a vu son territoire très très réduit au cours du temps).
Nous avions en plus pour objectif de prendre des cours d’espagnol ici, et ce n’est pas ce qu’il manque avec de nombreuses enseignes qui se démarquent ainsi : me gusta spanish school, sucre spanish school, open spanish school, ect. ! Après avoir fait le tour, on choisit Yo quiero spanish school parce que la prof se déplace jusqu’à notre hôtel (comment on dit fainéants en espagnol ?). Nous avons opté pour six heures de cours avec la très gentille Imelda y nos podemos decir que hay una progresion en nuestra manera de hablar el idioma ! Bon c’est vrai que le rapport activités/jour à Sucre va se révéler très faible, on voulait faire le treck d’un jour et demi jusqu’au cratère Maragura, on s’est dit que c’était trop cher, on voulait aller aux sept cascades, on s’est dit qu’il faisait mauvais (ceci étant vrai pour le dernier jour !). Nous passons beaucoup de temps à flâner dans les rues et à buller à l’hôtel (Rémi regardera même le match de l’équipe de France contre la Colombie en direct depuis la chambre !). Dans la ville, on découvre le marché central qui vaut le détour : tous les aliments possibles sont représentés, à l’étage on peut manger pour 2€ et en bas c’est la même chose pour les jus de fruits que les « mamitas » préparent du haut de leur perchoir d’où elles t’alpaguent. En fait ici c’est la nourriture qui vient à toi et pour pas cher en plus ! C’est vraiment un lieu à part et le point central de la ville car ça grouille de monde tout autour. Les écoliers de Sucre ont en tout cas la plus belle école de Bolivie, celle de l’ancien couvent San Felipe Néri que nous visitons le week-end pour admirer la vue sur la ville depuis les toits. Sinon, Charlotte s’est refait un look avec de nouvelles lunettes de soleil (de vraies cette fois-ci !) et de nouveaux trous dans les oreilles (enfin, plutôt débouché les anciens chez le tatoueur !). Nous avons aussi rencontré Carmen, une femme énergique qui tient un bar féministe dans lequel Rémi s’est quand même demandé ce qu’il foutait là ! (portrait à venir).
Sucre nous a donc permis de vivre l’espace de quelques jours notre voyage d’une manière différente, sans volonté d’être très actifs dans la découverte touristique, mais plus dans la vie quotidienne, et au final nous nous sommes bien imprégnés de la ville dont nous garderons un bon souvenir (ouais bon tout ça pour se justifier qu’en fait on n’a rien foutu !). Bref, la dolce vita, parfait avant de faire une étape à Cochabamba (où nous attend une rencontre avec une association de défense des femmes victimes de violence pour laquelle nous ferons un portrait) puis de se rendre à La Paz !
On voit qu’on est bien à Sucre … les bâtiments sont blancs et raffinés ?? Sinon vous avez eu raison d’un peu buller, cela ne fait pas de mal dans un tel voyage.
Dans votre discussion sur la visite de la mine c’est difficile de savoir ce qui est le mieux à faire … Cela sera à vous de voir ce que vous en ferez quand vous serez de retour ici.
Bonne continuation et gros bisous.
Nous validons ce doux jeu de mot sur Sucre ! Gros bisous !
Mais oui c’est normal! Vous ne pouvez pas être en mode « touriste » pendant 6 mois et c’est tout aussi intéressant de découvrir un endroit en mode « vie quotidienne » comme vous dites. Sucre est vraiment très facile à vivre, j’imagine que vous en avez bien profité!
Nous nous étions aussi posé la question pour les mines, que nous n’avons d’ailleurs pas faites mais c’était aussi une question de temps. Il est peu probable que beaucoup s’engagent en rentrant chez eux (et d’ailleurs comment s’engager à distance, dans quel rôle?) mais d’un autre côté vous n’en auriez surement pas autant parlé si vous n’aviez pas fait la visite. Et vous n’auriez clairement pas autant discuté du sujet avec votre guide en amont. C’est vrai qu’en France on a plutôt tendance à faire visiter des mines qui ont fermé… c’est moins perturbant.
Il y a un super film documentaire sur le sujet avec un gamin mineur que je vous recommanderai bien si je n’avais pas totalement oublié son nom… : )
Les féministes de Cochabamba c’est celles qui ont fait un docu sur l’accès à l’eau? Profitez bien de ce bleu unique du ciel!
Bisous les copains
Ps: par contre les pauses pipi… bon…
C’est ça que l’on découvre dans ce voyage au long cours, pouvoir se poser, et ça change tout ! Merci pour le film sans nom, on n’essaiera donc pas de le retrouver 🙂 En revanche il y en a eu un réalisé par des étudiants allemands qui s’appelle « Cerro Rico, the silver mountain ». Pour les féministes de Cochabamba c’est « lofficina juridica por la mujer », et elles ont surtout réalisé des grands « murales » dans la vile avec des street artistes !
Gros bisous les amis !
PS : le pipi c’est important aussi!
Buller. J’adore ce mot ! Et sinon, comment on dit « fainéant » en espagnol ? (et oui, LV2 Allemand….désolé!)
P.S : merci pour ce souvenir de nos cours à la fac sur l’Amérique espagnole et les fameuses mines de Potosi !
Fainéant en Espagnol ? On sait pas, on a la flemme de chercher, on est en train de buller !